Stop à l'espionnage sur l'internet
23 janvier 2008 – NADIA ESPOSITO
Source : Lenouvelliste.ch
TÉLÉCHARGEMENT : Une société zougoise qui joue les chasseurs de prime sur l’internet est sur le coup d’une recommandation fédérale de cesser toute activité. Des millions d’internautes suisses et européens, dont une dizaine de Valaisans, sont concernés.
C’est sans nul doute la plus grande victoire dans le domaine de la protection des données obtenue dans l’intérêt des internautes suisses! Et c’est Sébastien Fanti, l’avocat valaisan spécialiste de la cybercriminalité, qui le dit.
Le préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT), qui juge illégal de surveiller des gens qui s’échangent des fichiers sur l’internet pour ensuite exiger qu’ils paient un dédommagement aux détenteurs des droits d’auteur, vient en effet de rendre publique une recommandation à l’intention de la société Logistep S.A. basée à Zoug afin qu’elle cesse immédiatement son activité. Le PFPDT a conclu après examen que le traitement des données ne respectait pas les principes en matière de protections des données (finalité, transparence, licéité, bonne foi) et qu’il constituait dès lors une atteinte à la personnalité des internautes. «Si cette décision du PFPDT est confirmée par le Tribunal administratif fédéral, elle fera office de jurisprudence et les internautes suisses seront parmi les mieux protégés», souligne fièrement Sébatien Fanti, qui avait dénoncé le cas en avril dernier déjà.
«C’est scandaleux»
Comme de nombreuses autres sociétés, Logistep S.A. effectue des recherches dans les réseaux de peer-to-peer (P2P) (voir ci-dessous) dans le but de déceler des violations de droits d’auteur commises au sein des sites d’échanges gratuit de fichiers musique et vidéo sur l’internet. Pour ce faire, elle a développé un logiciel spécial qui lui permet de déceler le partage d’oeuvres protégées par le droit d’auteur qui sont illégalement téléchargées. Le logiciel en question enregistre les traces électroniques laissées par les internautes (adresses IP), à leur insu ainsi qu’à celui des fournisseurs d’accès. L’entreprise communique ensuite ces données à l’étranger, aux avocats mandatés pour défendre les intérêts des détenteurs des droits d’auteur des oeuvres concernées.
Finalement, les avocats déposent des plaintes pénales et utilisent leur droit d’accès aux dossiers d’instruction pour accéder aux identités des personnes suspectées d’avoir téléchargé ou partagé illégalement des oeuvres protégées. Ils adressent ensuite un courrier aux internautes pris sur le fait, les sommant de s’acquitter d’un montant qui sera réparti entre la société de surveillance et ses avocats (75%) et les éditeurs de jeu (25%). «C’est complètement scandaleux», s’insurge Sébastien Fanti. «C’est comme si j’achetais un radar privé, que je flashais les gens sur l’autoroute et que je leur demandais de payer une certaine somme pour ne pas les dénoncer pénalement et tout ça sans aucune enquête de police.»
Ne pas payer la facture
En Valais, plus d’une dizaine de personnes auraient reçu un courrier de la société Logistep leur demandant de payer pour les téléchargements illicites soi-disant effectués. Selon l’avocat sédunois, il ne faut pas s’acquitter de cette facture et prendre rapidement un avocat. «Seul un juge peut sommer les gens de payer, mais en aucun cas une entreprise privée qui se base sur des revendications civiles.» De nombreuses personnes, par peur de se voir porter en justice, ont pourtant sûrement déjà payé. «A coups de 400 euros pour un jeu téléchargé, j’imagine que Logistep s’est déjà fait plusieurs centaines de milliers de francs.»
Il faut dire qu’entre la dénonciation qui date d’avril 2007 et la recommandation du PFPDT rendue publique en fin de semaine dernière, neuf mois se sont écoulés. Neuf mois durant lesquels la société zougoise a pu continuer son action de surveillance et de traitement de données et ainsi s’en mettre plein les poches.
Le directeur de Logistep, Richard M. Schneider, se veut toutefois confiant pour la suite. «Le préposé peut bien faire des recommandations, mais il n’est pas habilité à faire la loi dans ce domaine», affirmait-il dans dans le «Matin Dimanche». L’avocat sédunois ne compte pourtant pas en rester là. «Mon objectif est de faire couler économiquement cette société, et toutes les autres qui agissent selon le même procédé, car si on laisse agir ces entreprises, il n’y aura plus aucune limite à la surveillance dans ce pays», souligne-t-il. «Imaginez que quelqu’un utilise ce genre de logiciel pour surveiller tous les échanges de fichiers d’un homme politique et qu’il fasse ensuite pression sur lui ou pire, vendre des données dans l’intérêt de ses concurrents!»
Sébastien Fanti a déjà prévu de dénoncer toutes les sociétés qui espionnent les internautes en Suisse, en France et en Belgique. «C’est à ce prix que la protection de la sphère privée des Suisses pourra être étendue.»
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PEER-TO-PEER KESAKO?
Le peer-to-peer (P2P, poste-à-poste ou point-à-point) consiste à relier des ordinateurs entre eux pour permettre l’échange de données par le biais de l’internet. Grâce à un programme adapté (KazAa, eMule, eDonkey), l’internaute peut échanger des fichiers, généralement des MP3, des jeux ou des vidéos, avec tous les internautes connectés. Chaque ordinateur fonctionne donc à la fois comme client et serveur.
Actuellement, la doctrine tolère le téléchargement de fichiers protégés par le droit d’auteur, mais pas la mise à disposition d’autrui des fichiers.
Jusqu’à maintenant seuls les fournisseurs d’accès sont officiellement en mesure de fournir l’identité d’un internaute mis sous surveillance, cela sur demande d’un juge ou de la police, dans le cadre exclusif d’une procédure pénale. Toute autre méthode est une infraction à la loi sur la protection de la sphère privée, ce que l’on vient de voir avec l’affaire Logistep.
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