Les mairies anglaises espionnent leurs administrés
Le Figaro.fr International
De notre correspondant à Londres Cyrille Vanlerberghe
24/06/2008 | Mise à jour : 11:08 |
Les collectivités locales abusent des pouvoirs de surveillance dont elles disposent.
Pendant deux semaines, Tim Joyce, Jenny Paton et leurs enfants ont fait l’objet d’une surveillance poussée, avec caméras de surveillance et filatures par un agent en civil. Ce qu’on leur reprochait ? D’avoir menti sur l’adresse de leur domicile pour obtenir une place dans une maternelle réputée pour leur fille de trois ans. L’histoire, qui s’est déroulée en avril dernier, avait montré que la famille n’avait pas menti mais surtout que la ville de Poole, sur la côte du Dorset, avait utilisé en toute légalité des pouvoirs qui lui sont attribués par une loi de 2000 visant à aider la recherche d’informations dans le cadre d’enquêtes antiterroristes et criminelles. Ce texte permet à de nombreux organismes de mener des écoutes et des enquêtes sur des personnes sans avoir besoin de l’autorisation d’un juge.
Sir Simon Milton, le président de la Local Government Association (LGA) a envoyé hier une lettre aux 500 councils (les «conseils locaux» de Grande-Bretagne, l’équivalent des mairies en France) pour leur demander de ne pas abuser des lois antiterroristes afin de résoudre «des affaires insignifiantes». Le cas de cet espionnage pour carte scolaire dans le Dorset est loin d’être isolée. On a récemment appris que le quartier londonien de Chelsea avait utilisé des caméras de surveillance pour une banale affaire de fausse carte de stationnement pour handicapé. À Newcastle, la municipalité a réalisé des enregistrements secrets dans des immeubles pour constater des nuisances sonores. Les villes de Bolton et Derby ont admis avoir utilisé des caméras cachées pour piéger des promeneurs qui ne ramassaient pas les déjections de leurs chiens…
D’après une enquête réalisée par l’agence Press Association, peu de temps après l’histoire de Poole, sur 97 conseils interrogés, 46 ont admis avoir recours à des techniques de surveillance exceptionnelles, et 35 n’ont pas voulu répondre. En extrapolant les chiffres de l’enquête, les collectivités locales britanniques mènent environ mille affaires de surveillance individuelles chaque mois !
Libertés individuelles
La loi de 2000 qui permet ce genre d’enquête a au départ été rédigée pour encadrer la manière dont la police réalise des écoutes téléphoniques, intercepte des e-mails et utilise des caméras. Le gouvernement de Tony Blair avait défendu ces nouveaux pouvoirs au nom de la lutte contre le terrorisme et la cybercriminalité. Au départ, seules neuf organisations, dont la police et les services secrets, avaient le droit d’appliquer cette loi. Mais en 2003, le spectre d’application a été étendu, et un total de 790 organismes, dont 474 collectivités locales, peuvent désormais y faire appel.
Sir Simon Milton a lancé son appel à la modération non pas pour réduire le pouvoir des élus locaux, mais au contraire pour éviter que des abus ne finissent par entraîner une révision de la loi avec des critères d’utilisation plus contraignants. C’est pourtant exactement ce que demande Shami Chakrabarti, la directrice de l’association Liberty, militant pour la défense des libertés individuelles : «Il faut changer la loi pour que des juges soient impliqués dans l’autorisation des pouvoirs les plus intrusifs, afin qu’ils ne soient utilisés que pour des crimes sérieux.»
Moins de deux semaines après l’extension très contestée de la garde à vue à 42 jours par Gordon Brown, l’opposition conservatrice a sauté sur cette nouvelle affaire touchant aux libertés individuelles pour exiger des contrôles sérieux sur les localités qui enquêtent sur la vie privée de leurs habitants.