Les détectives privés se préparent à mener des enquêtes pénales
Dans le cadre de la réforme de l’instruction pénale, les détectives pourraient être de plus en plus sollicités par les avocats pour mener des contre-enquêtes
Hercule Poirot, Sherlock Holmes ou Nestor Burma nous ont rendu les détectives privés plutôt sympathiques. Revers de la médaille : il est rare qu’on reconnaisse aux « agents de recherches privées » un réel savoir-faire, autre en tout cas que celui d’organiser les filatures des maris infidèles. Et pourtant, le métier évolue, se professionnalise. Mais c’est surtout l’actuelle réforme menée par le comité Léger – qui prévoit la suppression du juge d’instruction – qui pourrait donner aux détectives un rôle pivot dans les futures enquêtes pénales.
C’est en tout cas la conviction de Roger-Marc Moreau, pétulant détective parisien, passé maître dans l’art de faire acquitter des accusés condamnés en première instance. « Pour l’heure, je suis un des seuls à m’être spécialisé au pénal mais, avec la réforme en cours, mes collègues suivront… » Pourquoi ? Parce qu’à entendre de nombreux juristes, la disparition annoncée du juge d’instruction et la gestion par le seul parquet de l’ensemble des investigations risque de desservir les personnes poursuivies.
« En effet, les magistrats du parquet, habitués à représenter l’accusation lors des procès, sont très naturellement portés à enquêter à charge, explique un avocat. De fait, il va donc revenir à la défense de mener la contre-enquête. » Et c’est à ce stade que les détectives comptent se rendre incontournables. Tel est en tout cas le vœu de Roger-Marc Moreau : « Les avocats ne pourront pas préparer leur plaidoirie, assister aux audiences, gérer leur cabinet et, en plus, mener des investigations de terrain. »
Les détectives privés n’écopent quasiment jamais des dossiers « lourds »
De quoi révolutionner la mission des détectives qui, jusqu’ici, ne s’étaient jamais vraiment risqués sur le terrain pénal. Ces hommes de l’ombre, au nombre d’un millier en France, interviennent plutôt en effet sur commande des particuliers. À la demande des familles dont un être cher a disparu dans des conditions étranges par exemple, ou encore pour le compte des couples en instance de séparation et désireux de savoir ce qui peut être reproché à leur conjoint. Mais le vrai business des détectives est ailleurs. Ce sont les entreprises privées qui les font vivre, en leur commandant de plus en plus de missions en intelligence économique, ou encore les assureurs, désireux de traquer les fraudes à l’assurance.
Bref, les dossiers criminels « lourds », les détectives privés n’en écopent quasiment jamais. Mais demain ? « Soyons honnêtes, pour l’heure, nos connaissances en droit pénal sont extrêmement limitées », admet Jean-Emmanuel Derny, secrétaire général du Syndicat national des agents de recherches privées (Snarp). « Pour intervenir quotidiennement auprès des avocats pénalistes, il va nous falloir nous former sur le plan juridique. » L’université de Nîmes – l’un des deux établissements proposant une licence professionnelle dans le domaine – a d’ores et déjà prévu de revoir ses programmes. Et ce, dans le but de faire la part belle au droit pénal. « Preuve qu’à l’avenir un champ entier s’ouvre à nous », renchérit Roger-Marc Moreau.
Satisfaction justifiée ou emballement prématuré ? La présidente de l’association des avocats pénalistes, Me Corinne Dreyfus-Schmidt, penche clairement pour la deuxième option. « La réforme Léger ne prévoit pas de confier la contre-enquête aux avocats de la défense. Pour contrebalancer les pouvoirs du parquet, les avocats pourront demander au futur “juge de l’enquête” qu’il exige du parquet un certain nombre d’actes et de contre-expertises. »
« Seuls 1 % des justiciables pourront se payer ce type de services »
Voilà pour les grands principes. Reste la pratique. « Et quand le parquet refusera de faire un acte, ou fera preuve d’une mauvaise volonté manifeste, que feront les avocats ? », demande Mathieu Bonduelle, secrétaire général du Syndicat de la magistrature. « Ils finiront par mener par eux-mêmes certaines investigations et recourront, éventuellement, aux services des détectives. »
« Justice à deux vitesses », « enquête privatisée », « instruction pour les riches », scandent déjà les détracteurs de la réforme. Des slogans combattus par les agents de recherches privées. « Se faire aider d’un détective n’est pas si cher, surtout au regard de la gravité des peines encourues », assure Jean-Emmanuel Derny. Un point de vue très relatif quand on sait que les investigations s’échelonnent, globalement, entre 5 000 € et 50 000 €. De quoi faire réagir le président du Syndicat des avocats de France, Jean-Louis Borie : « Le recours aux détectives privés, ce sera un rêve de riches. Seuls 1 % des justiciables pourront se payer ce type de services. »
Marie Boëton
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