AFFAIRES NON ELUCIDEES …
le 7 avril 1993, le corps sans vie et sanguinolent de Pascal Taïs était découvert dans une geôle du commissariat d’Arcachon. La justice avait conclu à une chute. L’enquête vient d’être discrètement rouverte
Pascal Taïs n’est pas ressorti vivant du commissariat d’Arcachon
- la vie de Mohammed et Suzette Taïs, ici chez eux à St Pierre du Mont (Landes), s’est arrêtée net le 7 avril 1993 (photo Nicolas Le Lièvre)
Ce matin-là, le corps sanguinolent de cet homme de 32 ans était découvert à 7h30 dans une cellule de dégrisement du commissariat d’Arcachon. Il avait succombé à une hémorragie consécutive à un choc ayant occasionné la fracture de deux côtes et l’éclatement de la rate. Venu des Landes avec sa compagne pour passer la soirée dans la cité balnéaire, Pascal Taïs avait été interpellé la veille, peu avant minuit, en état d’ébriété. Témoin d’un violent accrochage verbal entre le jeune homme et des scientifiques réunis pour un congrès, un automobiliste avait appelé la police.
Suzette Taïs parle toujours d’« assassinat ». Mais la voix frêle de cette femme fatiguée masque mal sa lassitude. Son mari, Mohammed, conserve un peu d’énergie, à l’image de celle qui anime encore le moteur de son antique 505 dont les soubresauts font toujours sourire les passants dans les rues de Mont-de-Marsan. Inlassablement, le septuagénaire, coiffé de son inséparable bonnet chiffonné, continue dans un français d’académicien à écrire des lettres à toutes les autorités de la République.
La France condamnée
La dernière en date, à laquelle était joint le rapport du détective (lire ci-contre), a incité, au printemps dernier, le procureur général de la cour d’appel de Bordeaux à rouvrir discrètement le dossier. Difficile de faire moins au moment où le dernier rapport d’Amnesty International, intitulé « France : des policiers au-dessus des lois », s’ouvrait sur un rappel de l’affaire Taïs. En 2006, celle-ci avait déjà valu à l’État français d’être sévèrement condamné par la Cour européenne des droits de l’homme pour les comportements fautifs des policiers d’Arcachon et des magistrats girondins en charge de la conduite des investigations.
Dans la nuit du 6 au 7 avril, les gardiens de la paix ont laissé pendant plusieurs heures Pascal Taïs crier et hurler dans sa cellule sans lui porter assistance. Lors de l’arrivée des pompiers, la scène était insoutenable. Il y avait du sang partout : au-dessus du bas flanc bétonné, sur le sol, entre la cuvette des WC et la porte. À l’aide de ses excréments, Pascal Taïs avait même laissé des bribes d’inscriptions sur les murs. Selon la Cour européenne des droits de l’homme, aucune « enquête effective » sur les circonstances du décès n’a été menée, aucune explication « plausible » donnée sur l’origine des blessures.
Les experts médicaux, désignés par le juge d’instruction Denis Couhé, ont considéré qu’une chute brutale sur l’angle vif de la banquette en ciment, survenue dans les deux heures précédant le décès, était la cause la plus probable du drame. En 2003, en refermant le dossier, les conseillers de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux avaient jugé la thèse vraisemblable.
Pas de reconstitution
La santé dégradée de Pascal Taïs, atteint du sida, sa rébellion quasi permanente après son arrestation, son imprégnation alcoolique, la peur évoquée par les policiers d’être contaminés en entrant dans sa cellule… Tout plaidait, du point de vue de la juridiction, pour le scénario accidentel, Pascal Taïs ayant fort bien pu tomber d’épuisement face contre terre, entre le bas flanc et le mur.
En 1995, un chirurgien, le docteur Lachaize, avait analysé le rapport d’autopsie à la demande de la famille Taïs. De son point de vue, le nombre et la gravité des plaies laissaient penser qu’elles avaient été provoquées par des coups violents, notamment des coups de pied. Jamais, en dépit de l’insistance de leur avocat de l’époque, Me Jacques Vincens, les parents de Pascal Taïs n’ont pu obtenir du juge d’instruction une reconstitution. En dépit de l’étroitesse de la cellule, il aurait pourtant été intéressant de vérifier si, en ouvrant la porte de la pièce, il était possible à un policier de frapper la personne détenue.
La seule fois où un magistrat s’est déplacé sur les lieux – le conseiller désigné par la chambre de l’instruction pour conduire le premier supplément d’information -, il a constaté, contrairement aux experts médicaux, que les arêtes de la paillasse en béton fixée au mur et servant de lit étaient non pas vives mais arrondies. De quoi fragiliser la thèse de la chute, d’autant que celle-ci, si elle a eu lieu, n’a pu se produire que d’une hauteur de 30 à 40 cm.
« À la tête » Les gardiens de la paix présents cette nuit-là ont toujours affirmé qu’ils n’avaient jamais pénétré dans la cellule. De peur de contracter le sida. Curieusement, le registre d’écrou du commissariat mentionne « rien à signaler » alors que Pascal Taïs n’a cessé pendant des heures de hurler et de proférer des insultes. La Cour européenne des droits de l’homme a rédigé une conclusion sans appel : ce document ne peut servir de support aux explications de la police, « son contenu était en contradiction avec les prétendus débordements de Pascal Taïs ».
Ce dernier avait été d’abord conduit à l’hôpital d’Arcachon, les policiers voulant s’assurer que sa détention était compatible avec son état de santé. L’examen avait été malaisé, l’escorte éprouvant le plus grand mal à le maîtriser. Selon le docteur Martine Makanga, l’interne de garde, Pascal Taïs n’avait, en quittant son service, ni ecchymoses, ni plaie au cuir chevelu, ni côtes cassées.
Le médecin avait dû intervenir pour demander à un des gardiens de la paix de « ne pas le frapper avec sa matraque sur la tête ». Quelques années plus tard, le nom de ce fonctionnaire, aujourd’hui retraité, apparaîtra d’ailleurs dans deux plaintes pour brutalités.
À l’époque, il y avait au sein du commissariat d’Arcachon une ambiance à couper au couteau. Trois corbeaux ayant porté l’uniforme accuseront même certains de leurs collègues d’avoir tabassé Pascal Taïs. Entre 1998 et 2001, leurs dénonciations anonymes égareront la justice sur des fausses pistes. Selon l’une de ces missives, Pascal Taïs aurait même été tué parce qu’il aurait entendu les propos d’un sous-officier accusant deux fonctionnaires du vol d’une couronne de bijoux à la chapelle des Marins.
Cette atmosphère empoisonnée aurait sans doute mérité des investigations aussi approfondies que celles, parfois surprenantes, dont a fait l’objet la famille Taïs. Sans jamais avoir rencontré le défunt, un expert psychologue a écrit qu’il avait « mis en scène sa mort dont il savait qu’elle était la seule façon de combler l’attente parentale pour être définitivement cet unique auquel on le destine ».
Treize ans après, ces considérations incongrues n’emportent toujours pas la conviction. Y compris chez les anciens policiers d’Arcachon interrogés par le détective qui a refait l’enquête. « Il y a tout de même une chose qui me chagrine dans cette affaire, c’est ce qui s’est passé entre la nuit et notre arrivée. L’interpellation s’est peut-être mal passée. Je ne sais pas, je n’y étais pas », confie l’un de ceux qui, cette nuit-là avaient pris leur service à cinq heures du matin.
Dossier réalisé avec la collaboration du service des archives de Sud Ouest.
Alain Rousseau (détective) : « Un ou plusieurs fonctionnaires ont perdu leur sang-froid »
Alain Rousseau. Je pense avoir démontré que l’enquête judiciaire n’a pas exploré, volontairement ou involontairement, toutes les pistes dans cette affaire (1). C’est le moins que l’on puisse dire. La Cour européenne des droits de l’homme est même allée plus loin. Elle a conclu que « les autorités n’ont pas mené d’enquête effective ».
J’ai mis au jour des éléments troublants, certains qui n’auraient pas dû manquer d’alerter les deux juges d’instruction de l’époque, d’autres qui se sont produits entre la confirmation de l’ordonnance de non-lieu de 2003 et maintenant.
Beaucoup des policiers en poste à l’époque à Arcachon ont accepté de vous parler. Et souvent plus librement que lors de l’enquête officielle. Comment l’expliquez-vous ?
L’affaire remontant à maintenant seize ans, la plupart des policiers que j’ai rencontrés étaient à la retraite et pouvaient donc s’exprimer plus facilement. D’autre part, je leur ai rappelé dès le début des auditions l’arrêt de la Cour européenne condamnant la France et la volonté de la famille de faire rouvrir le dossier. Refuser de répondre à mes questions aurait pu paraître suspect. Beaucoup ont aussi voulu montrer qu’ils n’avaient rien à cacher.
Vous ont-ils dit pour autant la vérité ?
Il est certain que malgré les vives dissensions qui existaient et qui existent toujours entre les protagonistes de cette affaire, l’esprit de corps joue quand même. Du moins officiellement.
J’ai pu avoir avec eux des conversations souvent assez longues, en particulier à propos des dénonciations anonymes mettant en cause trois d’entre eux et dont il fait peu de doute, selon eux, qu’elles émanent de collègues. Au fil de ces discussions, j’ai relevé des petites phrases ou des sous-entendus qui permettent, à mon sens, de s’approcher de la vérité.
Comment pourriez-vous décrire l’ambiance qui régnait au sein de ce commissariat au moment des faits ?
Tous les policiers rencontrés sont d’accord au moins sur un point : il existait à l’époque des rivalités entre clans, des jalousies, des problèmes de personnes, voire même des dissensions politiques. Ce qui explique les dénonciations que je viens d’évoquer.
C’est donc, semble-t-il, à juste titre que l’un d’eux m’a parlé d’un climat qu’il a qualifié de « délétère ». L’affaire Taïs a été le terreau sur lequel ce climat a prospéré.
Quelle est votre intime conviction ?
Nous nous trouvons en présence d’une bavure policière. Un ou plusieurs fonctionnaires ont perdu leur sang-froid face au comportement de Pascal Taïs et ont mal réagi. Mais je ne pense pas qu’il ait reçu les coups mortels après son placement en cellule de dégrisement, comme cela a été envisagé jusqu’à présent.
Les faits ont eu lieu avant, durant la période de temps comprise entre l’examen à l’hôpital et son transport puis son arrivée au commissariat. Cela devrait orienter l’enquête dans une autre direction.
(1) Âgé de 56 ans, Alain Rousseau dirige l’Agence Aquitaine Consultants (AAC) qui est située au Taillan en Gironde.
Mohammed Taïs : « La justice a protégé la police »
Après avoir quitté le Maroc, j’ai longtemps travaillé au sein des pépinières Desmartis à Bergerac (24), région dont est originaire ma femme. En tant qu’agronome, j’ai participé à la mise au point d’un certain nombre de variétés. Ensuite, je me suis mis à mon compte dans les Landes.
Au moment de la mort de mon fils, j’étais expert judiciaire inscrit auprès de la cour d’appel de Pau. J’avais confiance en la justice. Je croyais en la France et à ses valeurs. Je les avais inculquées à mes enfants.
La justice a protégé la police, la justice a peur de la police. C’était à nous, partie civile, de rechercher les preuves. Mais quand on est des petites gens, on ne compte pas. J’ai reçu un coup de téléphone anonyme dénonçant des policiers. Mon avocat a répercuté l’information.
Les gendarmes de Mont-de-Marsan ont mis deux ans pour vérifier d’où venait l’appel. La chambre de l’instruction leur avait transmis mon numéro. Mais lorsqu’ils ont demandé à l’opérateur de faire des vérifications, ils lui ont transmis un numéro qui n’était pas le mien. Il y avait une erreur sur un chiffre. Comment voulez-vous que je fasse confiance ?
Ce soir-là, mon fils avait dîné avec nous. Il n’avait pas bu. C’est aussi le sentiment de l’hôtelier d’Arcachon qui l’a croisé peu avant son arrestation. Lui pensait qu’il était drogué. Mais on n’avait pas à reprocher à Pascal son passé de toxicomane. Il s’est rebellé mais cela ne justifie pas le massacre dont il a été victime. Invalide à 100 %. Il pesait à peine 50 kg.
Aujourd’hui, je m’en veux d’avoir quitté le Maroc pour la France. C’est de ma faute s’il était à cheval sur deux cultures. Il vivait cela comme un handicap.
Je ne cesse de penser à ce qu’il a enduré pendant les dernières heures de sa vie. Je me dis qu’il était seul, que personne n’était là pour lui venir en aide.
Je pense sans cesse aux coups qu’il a pris. C’est comme si c’était moi qui les recevais.
http://www.sudouest.com/accueil/actualite/france/article/647054/mil.html