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Quels enjeux de l'Immatériel dans la sphère publique ?

Posté par Arnaud Pelletier le 21 juillet 2009
Véritable ‘richesse des nations’ de demain, les actifs immatériels figurent au premier plan de la stratégie de Lisbonne visant à créer une Europe de la connaissance. Encore faut-il les recenser, les mesurer et les valoriser, que ce soit dans la sphère privée ou publique. C’est à ces  fins qu’à été créée l’APIE en 2007, par arrêté du 23 avril 2007. Huit jours auparavant, la Circulaire du Premier ministre du 18 avril 2007 soulignait que ‘la gestion des actifs immatériels est l’un des facteurs de croissance les plus prometteurs de notre économie’, faisant de l’Etat français un pionnier en matière de valorisation des actifs immatériels publics. Une tâche difficile tant les définitions des actifs immatériels peuvent différer d’un acteur à un autre, d’autant plus que les outils de mesures demeurent en construction. Et pourtant, il s’agit là d’une première étape indispensable vers, espérons le, une véritable politique publique de l’immatériel.

Une cartographie recoupant celle utilisée dans la sphère privée

La comptabilité définit généralement le capital immatériel comme « un élément sans substance physique et ayant une valeur positive pour l’organisation». Dans une perspective publique doit intervenir une première inflexion de cette définition : la création de valeur bénéficie à l’organisation génératrice mais aussi la collectivité dans son ensemble.

La sphère publique est riche en actifs immatériel (AI) de toutes natures. La cartographie réalisée par l’APIE représente une tentative pionnière de mettre en place un repérage systématique et organisé des différents AI publics. Elle distingue les données publiques et audiovisuelles, les lieux publics, le savoir-faire et les noms (les marques publiques et noms de domaines) ainsi que des actifs propres à l’Etat, tels les fréquences ou les actifs carbone. Les acteurs publics interviewés, notamment les collectivités territoriales, soulignent l’importance de l’image et du capital humain. En dehors de l’APIE, des acteurs non spécialisés ont été amenés à prendre en compte l’immatériel, principalement selon deux perspectives complémentaires. D’une part, une perspective interne de développement des capitaux immatériels dans un but d’efficacité et de modernisation des entités.

Il s’agit de s’appuyer sur le capital humain, de gérer les relations sociales, de valoriser les savoir-faire spécifiques des agents, des systèmes d’information et de favoriser l’innovation. D’autre part, une cartographie élargie considérant les dépenses publiques productrices d’externalités sur le long terme, qu’elles soient positives – éducation, politiques environnementales – ou négatives – pollution.

Les actifs immatériels publics sont des éléments patrimoniaux et doivent s’inscrire, comme tout actif économique, au service d’une stratégie. Dès lors que les missions et les objectifs diffèrent, les actifs mis en avant par les acteurs publics varient, chacun ayant sa propre priorité. Pour des établissements tels l’Etablissement public de Versailles ou la Monnaie de Paris, la marque constitue le véritable pivot de la stratégie, que viennent soutenir le capital humain, les politiques environnementales au sens large et les services de protection de la propriété intellectuelle. L’Etat, les collectivités territoriales et la plupart des institutions, possèdent un capital immatériel qui réside dans le savoir-faire de leurs agents et qui s’inscrit dans la richesse produite par les activités publiques au service de la collectivité.

Les gendarmes du GIGN, les sapeur-pompiers de Paris ou les inspecteurs des impôts français disposent d’un savoir faire dont la renommée dépasse largement le cadre national. Les perspectives d’évolution se situent dans le développement des capitaux internes, souvent gérés ad hoc, ainsi que dans le soin apporté aux interfaces avec les usagers, au moyen notamment d’une meilleure appropriation des NTIC par les administrations. La cartographie établie pour le secteur public montre un périmètre de recoupement assez large avec celle retenue usuellement par le secteur marchand soit le capital humain, le capital structurel externe (lié à la valeur générée avec les parties prenantes), le capital structurel interne (innovation, systèmes d’information). La singularité des actifs immatériels publics se situe davantage dans les modalités de l’exploitation des gisements de valeur détectés.

Des stratégies différentes pour délivrer de la valeur selon les acteurs

Il n’existe pas de gestion optimale que l’on pourrait généraliser à l’ensemble de la sphère publique mais des stratégies propres à chaque acteur qui peuvent, parfois, faire l’objet d’approches différenciées. Ainsi, les positions de la Mairie de Paris et de l’APIE divergent sur la politique de location d’espaces, la Mairie de Paris défendant une tarification unique par catégorie et l’APIE préconisant une tarification modulée selon le prestige des lieux, l’une et l’autre restant naturellement attentives au respect du principe d’égalité. De même, la question de la facturation des actifs publics pour leur utilisation à des fins commerciales reste centrale et partage les acteurs. Elle dépend du type d’actif en jeu: alors que la facturation paraît évidente pour l’utilisation d’une marque ou la location d’espaces, elle l’est moins en ce qui concerne les données publiques (enquêtes, rapports, éléments de veille concurrentielle telles les données de l’INPI).

La réutilisation des données publiques est, avec la valorisation d’espaces, un des chantiers principaux de l’APIE. Outre les recettes complémentaires qu’elle représente potentiellement pour les administrations, l’exigence d’une redevance raisonnable satisfaisait à la demande des entreprises, qui seraient «demandeuses de prix», afin de clarifier leur cadre d’activité par une structuration de l’offre et une meilleure sécurité juridique. C’est en ce sens que l’APIE a mis en place des licences-types et a été à l’instigation de deux décrets du 10 février 2009, qui visent à définir un cadre réglementaire pour la valorisation du patrimoine immatériel de l’Etat [Décret n° 2009-151 du 10 février 2009 relatif à la rémunération de certains services rendus par l’Etat consistant en une valorisation de son patrimoine immatériel ; Décret n° 2009-157 du 10 février 2009 portant attribution de produits aux budgets des ministères concernés en application du décret n° 2009-151,  Journal Officiel du 12 février 2009, ndlr].

Selon d’autres visions, la gratuité pourrait permettre de délivrer davantage de valeur finale indirecte à la collectivité que la facturation immédiate sur usage. Pour la commission Sen-Stiglitz, la monétisation des données devrait faire l’objet d’un débat organisé car elle pourrait priver la collectivité de la valeur attachée à l’utilisation de ces données.  Ainsi la gratuité d’accès à l’étude PISA sur les systèmes d’éducation [Programme for International Student Assessment (PISA), OCDE 2000, 2003, 2006, ndlr] a entraîné l’émergence de débats publics qui ont mené à des réformes dans certains Etats membres. Néanmoins, pour le CREDOC, l’avantage évident de la facturation est de générer un gain monétaire, c’est à dire direct et quantifiable, alors qu’il est bien plus complexe d’estimer la valeur indirectement perdue suite à un éventuel tarissement d’externalités positives. Le rapport publié en novembre 2008 sur «les retombées économiques et la valeur des espaces naturels protégés» [Les retombées économiques et les aménités des espaces naturels protégés, Rapport général, CREDOC novembre 2008, ndlr] offre plusieurs pistes réutilisables dans l’évaluation des externalités des AI publics. En prenant en compte non seulement les acteurs directement concernés et les effets immédiats mais aussi les aspects indirects et différés, ces méthodes offrent une vision élargie de la valeur collective délivrée par les actifs immatériels publics.

Une mesure à construire pour enrichir la communication à la collectivité

Pour mener à bien leurs stratégies et recenser les actifs immatériels, les acteurs publics ont avant tout besoin d’outils pour les mesurer. Or les actifs immatériels restent un poste marginal du bilan comptable actuel de l’Etat, publié depuis 2006, dont les normes sont largement issues du privé. La comptabilité exige en effet qu’il y ait transaction, ce qui exclut une valorisation des actifs crées en interne  (comme une marque telle que la Monnaie de Paris ou le savoir faire des agents des impôts).

A long terme, certains, comme la Commission Sen-Stiglitz, considèrent nécessaire de réformer les outils comptables généraux sur lesquels est calquée la compatibilité de l’Etat et de créer de nouveaux indicateurs pour mieux appréhender les richesses détenues par les différents acteurs privés publics. Par ailleurs, des indicateurs extra financiers pourraient être structurés en vue de mesurer la performance de l’exploitation des actifs immatériels internes (capital humain, innovation, systèmes d’information…). Une analyse de la gestion des risques attachés au patrimoine immatériel public serait également complémentaire de cette approche, l’immatériel étant un sujet d’intelligence économique.

A court terme, il est pourtant nécessaire de s’accommoder des outils actuels pour démontrer l’utilité de la valorisation des actifs immatériels. Pour recenser les actifs immatériels de l’Etat, l’APIE recherche avant tous les actifs ayant fait l’objet d’une transaction. Elle est ainsi parvenue à valoriser les fréquences hertziennes, celles-ci donnant lieu à des concessions marchandes, et les droits d’émissions de CO2 dont le prix est régulé par un marché. Par conséquent les actifs immatériels publics ont progressé de 13,2 milliards d’euros, passant de 22,5 en 2007 à 35,7 milliards d’euros en 2008. Mais ce montant pourrait paraître encore bien loin de la réalité. L’absence d’indicateur limite la communication en la matière. Pourtant l’information de la collectivité sur la gestion du patrimoine immatériel de l’Etat permettrait d’appréhender les efforts engagés dans ce domaine, porteur de croissance et d’emploi. Or, on observe un déséquilibre manifeste entre les enjeux de l’immatériel et les réalisations déjà effectuées d’une part, et la sensibilisation du public d’autre part. La communication apparaît toutefois liée à la maturité de la démarche de l’immatériel.

Les préoccupations des acteurs publics portent aujourd’hui davantage sur un travail interne de fond : cartographier, forger des outils, exploiter, mesurer les actifs immatériels. La communication que la Monnaie de Paris a réalisée sur sa marque n’a ainsi pu paraître crédible qu’après un travail en profondeur sur ses structures internes. La confiance est un capital fondamental pour les acteurs publics.

La construction et la préservation de celle-ci passent par une communication maîtrisée, mais surtout par des réalisations concrètes en amont, ce qui exclut toute démarche cosmétique. L’information à la collectivité est appelée à se développer à terme. Les résultats de la démarche de l’immatériel, lorsqu’ils influencent directement les cadres de vie des citoyens, s’agissant des questions environnementales ou de la mise en place de portails administratifs par exemple, suscitent déjà un fort intérêt et une demande légitime d’information. D’autre part apparaitra peut-être le besoin de réaliser des campagnes visant à sensibiliser la population à certaines démarches, notamment en matière de propriété intellectuelle.

Des actions de communication ponctuelles émanant de certains acteurs existent déjà à l’heure actuelle. L’APIE, qui se développe par étapes, a tout d’abord concentré sa mission de sensibilisation sur les ministères, puis sur certaines entreprises. Dans le cas du Domaine de Versailles, la prospection auprès des mécènes donne lieu à d’importantes opérations de communication ciblées. Mais la communication en matière d’actifs immatériels publics reste encore marginale.

Vers une politique de l’immatériel ?

La gestion du capital immatériel figure au cœur de l’Europe de la connaissance imaginée par la stratégie de Lisbonne. Il s’agit d’inciter les Etats membres à devenir des leaders dans cette économie et à remplir des objectifs chiffrés, notamment en matière de recherche et d’innovation. Or, comme le montre le rapport Cohen-Tanugi [Une stratégie européenne pour la mondialisation, rapport d’étape, Laurent Cohen Tanugi, 15 janvier 2008, ndlr], le bilan est pour l’instant mitigé et l’Europe accuse un retard dans sa stratégie de l’immatériel. Alors que les objectifs ont du être revus à la baisse en 2004, les Etats membres sont toujours loin d’atteindre en moyenne les 3 points du PIB en R&D. De même, l’UE reste largement distancée par les Etats-Unis pour le nombre de brevets déposés ou les exportations de produits high tech.

D’autres pays, conscients des défis futurs à relever, misent sur l’immatériel pour venir à la rescousse d’une richesse en matières premières non renouvelables désormais limitée. C’est le cas des Emirats Arabes Unis dont la démarche proactive en la matière avec l’achat de licences de marques publiques telle que le Louvre ou la Sorbonne devrait leur permettre d’assoir leur croissance non plus sur l’or noir mais la matière grise. La Chine et l’Inde investissent fortement dans l’immatériel à un rythme plus rapide que l’Europe.

Pour préserver et développer la compétitivité liée à l’immatériel, du moins en France, il apparaît indispensable d’impulser une véritable politique de l’immatériel à un niveau politique qui rende le projet visible, par un secrétariat d’État dédié par exemple, comme le prône la 35ème des propositions du GPS, pour porter un plan national de croissance et d’emploi. Dans ce cadre, l’APIE, pourrait développer avec des moyens appropriés son rôle essentiel d’une exploitation efficiente des richesses immatérielles de tous les acteurs publics  y compris les collectivités locales. Et pourquoi pas des «directeurs de l’immatériel» dans chaque administration afin de coordonner la gestion des actifs immatériels en interne ?

Il s’agirait également de créer un environnement économique, social, fiscal, juridique favorable pour lever les freins à la dynamique de l’immatériel dans le secteur marchand [Actifs immatériels, leviers pour la croissance : 35 propositions pour une valeur durable, la Commission Innovation et Immatériel du GPS Avril 2009, ndlr]. Compte tenu de leur potentiel de création d’emploi, une attention particulière devrait être portée aux PME et aux entreprises intermédiaires, en s’inspirant d’initiatives européennes comme le portail du ministère allemand de l’économie permettant aux PME et TPE de mesurer leur capital immatériel.

Ces actions doivent également être relayées :
– en s’assurant que les instruments publics de mesure prennent en compte l’impact de l’immatériel afin de donner une image fidèle du patrimoine national et de la croissance,
– en favorisant la fluidité des systèmes d’information de marchés, notamment les initiatives de reporting extra financier des acteurs privés.
– par la mise au point d’indicateurs microéconomiques propres aux acteurs pour la gestion de leurs actifs et leur communication, des  indicateurs macroéconomiques propres à l’immatériel (un PIB de l’immatériel par exemple). De même, les indicateurs mis en place dans le cadre de la LOLF, qui permettent notamment au Parlement d’apprécier les performances annuelles des ministères, gagneraient à être enrichis par des éléments rendant compte de leurs efforts de valorisation et de leurs résultats. Au-delà, le potentiel de valorisation est tel qu’il mériterait d’être érigé en axe de modernisation de l’État, au même titre que l’amélioration des relations de l’administration avec le public et que la meilleure efficience de l’État.

Il est urgent d’agir. La crise économique offre l’opportunité d’accélérer des mutations économiques majeures à condition de s’en donner les moyens. Seule une politique d’envergure permettrait de mettre l’immatériel au service d’une croissance plus qualitative, qui répondrait mieux aux nouvelles aspirations des citoyens en France et en Europe.

Article rédigé par Camille Argiewicz et Arnaud Laaban, étudiants de la Tribune Sciences de l’immatériel
Sous la direction de Marie-Ange Andrieux – Deloitte – Directeur de la Tribune Sciences Po de l’immatériel
En partenariat avec l’Agence pour le Patrimoine Immatériel de l’Etat

http://www.easybourse.com/bourse/information/quels-enjeux-de-l-immateriel-dans-la-sphere-publique–11519



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