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Holmes : Le réel en fiction

Posté par Arnaud Pelletier le 24 août 2009

Le vrai Sherlock Holmes a vécu à Londres au XIXe siècle, mais son personnage a connu de multiples incarnations à l’écran. Tour des rôles.

Par LAURENT JOFFRIN

La réalité de Holmes ne faisant plus aucun doute, il faut maintenant discuter de son éternité. Chaque année, de nouveaux ouvrages sont publiés qui font revivre l’homme de Baker Street. Hollywood, à la fin de 2009, sortira un nouveau film consacré à Holmes, mis en scène par Guy Ritchie, dont la bande-annonce laisse présager une mise en scène radicalement modernisée. Les sociétés holmésiennes sont légion et leur activité est prodigieuse. Mais l’hypothèse de l’éternité de Holmes provient de certaines sources plus audacieuses.

A la fin des années 30 la Century Fox, compagnie de cinéma californienne, se lance dans l’adaptation des aventures de Sherlock Holmes. Pour le rôle-titre, elle engage un acteur peu connu mais dont le physique et la diction correspondent parfaitement à la personnalité du détective, Basil Rathbone, qui sera pour des générations de holmésiens l’incarnation idéale de leur héros avant d’être détrôné par Jeremy Brett dans une série remarquable produite par Granada et diffusée sur ITV. La réalisation des films de la Fox est honorable, les décors et les costumes sont fidèles et la superbe Ida Lupino vient enrichir une distribution très professionnelle. Seule faute de goût : le rôle de Watson est confié à Nigel Bruce, comédien lourdaud qui surjoue la naïveté supposée du docteur, jusqu’à en faire un benêt ridicule, déviation qui trahit gravement la réalité historique, puisque Watson est, au contraire, un homme fin, intelligent, énergique, qui souffre seulement de la comparaison avec les dons extraordinaires de son compagnon.

Enrôlé pour la patrie

Deux films sont produits avant la guerre, le Chien des Baskerville et les Aventures de Sherlock Holmes, qui figurent avec les honneurs dans la filmographie holmésienne. Puis la Fox cède l’affaire à Universal. Et là tout change. Nous sommes en 1942. La démocratie américaine vient d’entrer en guerre à la suite de l’attaque de Pearl Harbour. Partout les forces de l’Axe sont à l’offensive et les Alliés désespèrent de renverser le cours de l’Histoire et des opérations. Il faut mobiliser les énergies, rassembler le peuple, enrôler au service de cette cause sacrée ce que les deux grands alliés anglo-saxons ont de meilleur.

Universal, major patriote, décide alors d’enrôler… Sherlock Holmes. Une pirouette placée en exergue pour justifier l’anachronisme (les grands héros ne meurent jamais…), une intrigue édifiante et rapidement ficelée, voilà Holmes et Watson mobilisés contre le nazisme. La casquette deerstalker et le pardessus macfarlane disparaissent. Holmes adopte une tenue de gentleman-farmer des années 40, pantalon droit et veste de chasse pied-de-poule avec une patte dans le dos. Mais la pipe est toujours là, tout comme l’arrogance courtoise, la force déductive hors du commun et la naïveté corollaire de Watson. Le duo vient au secours du contre-espionnage anglais pour protéger des documents secrets ou encore débusquer un émetteur clandestin placé par la cinquième colonne nazie au sud de l’Angleterre.

L’escapade de Holmes hors de son époque pose évidemment une redoutable question : la chose est-elle vraisemblable ? Peut-on admettre qu’un détective ayant atteint l’âge adulte dans les années 1870 continue de résoudre des énigmes en 1942, sans que le poids des années ait une quelconque prise sur ses facultés physiques ou mentales ? Le réalisme dont nous faisons preuve depuis le début de cette série est ici mis au défi.

Certains remarqueront que pareils exemples abondent dans la vie des grands personnages de fiction, dont nous soutenons qu’ils sont en fait plus réels que leurs auteurs. L’un des plus connus, Tintin, dont chacun sait qu’il a ouvert la voie à la conquête de la lune par la Nasa, grâce à une fusée syldave conçue par un Belge, ne prend pas une ride, alors qu’il commence sa carrière dans les années 30 et l’achève dans les années 60. Les personnages de bande dessinée (si l’on met à part Blueberry) sont inaccessibles aux injures du temps. Mickey, Picsou et les Rapetou résistent sans peine à l’accumulation des années. Spirou est une sorte de Dorian Gray en costume de groom tandis qu’Astérix a manifestement coupé sa potion magique d’un élixir de jouvence…

Nicholas Meyer, l’auteur de la Solution à 7 %, mémorialiste de la rencontre Holmes-Freud, que nous avons déjà cité, a imaginé une autre intrigue dans laquelle Herbert George Wells, l’auteur de la Machine à explorer le temps, voit arriver chez lui Jack l’Eventreur (encore lui), poursuivi par la police. L’assassin découvre dans la cave de l’écrivain la fameuse machine. Pour échapper à ses poursuivants, il s’y précipite et actionne un levier qui le propulse dans le Los Angeles des années 70. Pour empêcher l’Eventreur de continuer sa carrière criminelle dans cette nouvelle époque, Wells doit monter, à son tour, à bord et se lancer à la poursuite du criminel au cœur de la Californie contemporaine, ce qui donne un roman et un film, fort réjouissants.

Mort dans le sussex

Ces précédents sont-ils tout à fait convaincants ? Supposer l’immortalité de Holmes, du Quichotte ou de Dom Juan, n’est-ce pas pousser un peu loin le bouchon ? C’est là, sagace lecteur, que tu attends cette démonstration au tournant. Tu auras forcément remarqué que le raisonnement, ici tenu, pèche par une incohérence discrète mais vite essentielle. On peut arguer de l’éternité de certains héros dans l’esprit de leurs lecteurs. Personnages d’une force extraordinaire, ils s’inscrivent dans la conscience du public bien mieux que tant d’êtres humains véritables. Ils peuvent ainsi accéder à une certaine forme d’éternité. Mais telle n’est pas la thèse que nous défendons ici. Nous soutenons l’idée d’un Holmes bien réel, personnage de chair et d’os, qui a effectivement vécu dans le Londres de la fin du XIXe siècle. Or si ce personnage est un véritable être humain, il n’a pas manqué de mourir un jour. Non pas dans les chutes du Reichenbach, comme l’a affirmé cet imposteur de Conan Doyle, mais dans une petite maison du Sussex où il s’est retiré en 1904 pour entamer une carrière tardive mais reposante d’apiculteur amateur.

On ignore la date exacte de la mort de Holmes. Mais comme il est né en 1854, il aurait eu, en 1942, l’âge canonique de 88 ans. Impossible, dans ces conditions, de le représenter sous les traits altiers et énergiques de Basil Rathbone. De plus, on sait que Holmes, emblème du XIXe siècle, est l’une des incarnations de la Raison en marche. On ne peut donc expliquer sa survie indéfinie, par une pirouette de scénariste. Il eût fallu une explication scientifique, rationnelle, comme celle que Nicholas Meyer donne pour justifier la présence de Jack l’Eventreur à Berkeley en 1975, ou encore celle dont use Edgar P. Jacobs, l’auteur des aventures du Pr Mortimer, pour placer soudain son héros dans le monde des dinosaures. L’éternité de Holmes est donc purement symbolique. La vérité de l’homme exige qu’il soit mortel. Ce qu’il fut.

C’est à la lumière de cette conclusion qu’on doit rendre compte des aventures du détective au théâtre ou au cinéma. Les traits du détective ayant été fixés par les illustrateurs, on peut évaluer la qualité des interprétations. On écartera les Holmes représentés en latin lover (Clive Brook), les Holmes chinois ou japonais, le Holmes parodique incarné par un Afro-Américain, le Holmes burlesque de Gene Wilder, le Holmes collégien de Barry Levinson, ou celui qu’incarne Roger Moore, plus à l’aise dans Amicalement vôtre et dans James Bond. On donnera une mention bien à Christopher Plummer pour son physique aigu, à Peter Cushing pour sa minceur et son rictus inquiétant, à Christopher Lee pour sa nuance draculesque, à Michael Caine pour son jeu plein d’humour et pour l’habileté du scénario qu’il défend, à Nicol Williamson dans l’excellent Sherlock Holmes attaque l’Orient-Express, traduction libre de The Seven-Per-Cent Solution (tiré du roman de Nicholas Meyer), avec en prime un Moriarty interprété par Sir Laurence Olivier.

On attribuera la mention très bien, évidemment, à Basil Rathbone, prince des Holmes dans les années 40, dont les films, diffusés, rediffusés et surdiffusés à la télévision, graveront les traits dans la mémoire de tous les baby-boomers. Le prix d’excellence ira toutefois, selon le consensus établi parmi tous les holmésiens du monde, à Jeremy Brett, ancien jeune premier un peu niais dans My Fair Lady, interprète de Watson avant de se voir confier par Granada le rôle de sa vie, qu’il incarne avec une froideur calculée, une ironie coupante, un cabotinage maîtrisé et une élégance gestuelle en tous points extraordinaires.

Le coup du bébé parfait

Et enfin, hors concours, on citera un petit chef-d’œuvre qui l’emporte sur tous les autres. Il se rattache par son esprit moqueur à la veine parodique ; mais quelques égratignures font du bien à ce détective décidément trop imbu de sa supériorité… Il s’agit du film de Billy Wilder, génial réalisateur de Some Like it Hot ou de Front Page, librement inspiré des histoires de Watson et appelé en français la Vie privée de Sherlock Holmes. Tous les ingrédients sont réunis dans un scénario suprêmement habile, avec un Christopher Lee sans défaut en Mycroft et, en prime, une cantatrice russe, des canaris asphyxiés, une demi-douzaine de nains et le monstre du Loch Ness.

La scène d’ouverture donne le ton du film : Holmes est invité – il faudrait dire convoqué – par la cantatrice russe, beauté à la fois hiératique et un peu fanée. Après le spectacle, pendant qu’un Watson émoustillé boit du champagne avec une nuée de ballerines juvéniles et sensuelles, Holmes se voit proposer un contrat inattendu. La cantatrice lui explique qu’elle est la plus belle femme d’Europe et lui, l’homme le plus intelligent. Elle a donc décidé qu’ils s’uniraient pour concevoir un rejeton parfait, appelé par la suite aux plus hautes destinées. Embarrassé, Holmes ne sait que dire, lui qui professe une aversion légendaire pour la gent féminine, Irène Adler exceptée (1).

Tristan Bernard s’était vu proposer lui aussi le mariage par une jeune actrice aussi belle que courte d’esprit. «Notre enfant, avait-elle plaidé, aurait ma beauté et votre intelligence». Ce à quoi l’humoriste avait rétorqué : «N’y pensez pas, ma chère, imaginez que ce soit l’inverse !» Holmes est trop galant pour répondre de la sorte. Il trouve une échappatoire : les relations qu’il entretient avec Watson, explique-t-il, ne sont pas ce qu’en dit le bon docteur. Elles vont bien au-delà de la camaraderie décrite dans les livres de Conan Doyle, lequel pourrait être remplacé, si l’on disait leur véritable nature, par son contemporain Oscar Wilde…

Tout en faisant rire son public, Wilder trouvait là un autre sujet de recherches. Après tout, n’y a-t-il pas un non-dit dans cette longue cohabitation entre deux vieux garçons dans la force de l’âge, dont l’un, célibataire militant, violoniste délicat, qui aime à se pavaner dans une robe de chambre de soie rouge, ne cesse de proclamer son indifférence au beau sexe et l’autre, officiellement marié, ne cesse de quitter le domicile conjugal pour partager avec celui qu’il chérit et admire les aventures les plus inattendues ? Il y a deux chambres à Baker Street mais un seul salon et les visites de madame Hudson, leur logeuse, sont trop intermittentes pour qu’elle puisse attester sans erreur que Holmes et Watson n’avaient pas – tel un secret victorien bien conforme à l’hypocrisie de cette époque qui emprisonnait les homosexuels – un penchant intime qui allait bien au-delà de la misogynie de façade dont on crédite Sherlock Holmes. Voilà, en tout cas, une piste de recherche pleine de promesses pour de subséquentes et savantes études holmésiennes (2)…

(1) Aventurière apparaissant dans la nouvelle Un scandale en Bohême. Pour Holmes, elle représentait «LA» femme. (2) Commentaire de Thierry Saint-Joanis, qui ne croit pas à l’homosexualité de Holmes et Watson : que deux hommes partagent un meublé est une pratique banale à l’ère victorienne. Dans ce cas, c’est une raison financière qui les réunit chez Madame Hudson : le loyer est trop onéreux pour une seule personne.

http://www.liberation.fr/culture/0101586365-le-reel-en-fiction



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Arnaud Pelletier

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