Voyage au coeur de l'intelligence économique
Lepoint.fr
Par Jean Guisnel
C’est un exercice que nombre d’entreprises, dont certains journaux et magazines d’information, connaissent bien : lorsque des indices troublants se multiplient, il devient urgent de faire passer les « dépoussiéreurs ». Ces spécialistes viennent chercher des micros dans les murs ou les pieds de table, et repartent généralement bredouilles ! Car ces pratiques d’espionnage appartiennent généralement au passé, tant il est devenu facile de savoir, sans même avoir besoin d’y pénétrer, ce qui se passe dans une entreprise. Pour ceux qui en douteraient, il suffit de lire le dernier ouvrage de Bruno Delamotte, l’un de ces chefs d’entreprise pratiquant ce qu’il est convenu d’appeler « l’intelligence économique ». Et d’expliquer pourquoi les « plombiers » qui avaient opéré au Canard Enchaîné en 1973 ont disparu du paysage.
C’est que le développement des technologies de l’information et celui des communications numériques a bouleversé le métier des voleurs d’infos : « Les messageries électroniques, à l’ère de la feuille Excel et surtout de la présentation Powerpoint, sont une mine d’or pour qui sait se positionner habilement. Être posté au bon carrefour de ces autoroutes de l’information, totalement invisible, peut permettre de plonger dans le coeur de l’entreprise, de la lire à livre ouvert tant dans sa stratégie que dans ses comptes. » Le monde vu par Delamotte est assez déprimant. On y évoque des coups tordus, certains ahurissants quand le patron doit expliquer à un client africain que les assassinats ne sont pas pratiqués par son entreprise, d’autres franchement débilitants, quand le chef d’entreprise est mis sous pression dans une cave par des policiers du contre-espionnage, qui veulent à tout prix savoir d’où sort un document officiel secret qui circule sous le manteau dans Paris.
Freelance
Parfois, on est saisi de la proximité que l’auteur décrit entre les responsables de grandes entreprises et les services de renseignement, avec lesquels les « droits de tirage » sur les informations sensibles sont réciproques et constants. Jusqu’à ce que le politique, parfois, mette le hola. On a peine à croire que des spécialistes formés par la DGSE à l’art difficile de la pénétration physique dans les chambres d’hôtels où les bureaux des chefs d’entreprise, appelés les « ouvreurs », opèrent aujourd’hui en freelance dans Paris, « se vendant au plus offrant en usant tant du savoir-faire que des contacts acquis dans l’administration ». Nous y voilà ! Car l’auteur insiste sur le fait que ces « ouvreurs » mercenaires ne fréquentent pas seulement les terrains de chasse habituels, les grands hôtels : « plusieurs groupes – et la rédaction d’un grand news magazine (NDLR : ne serait-ce pas Le Point « visité » à plusieurs reprises ces dernières années ?) – ont été confrontés à la visite d’un inconnu qui, à chaque fois, savait exactement où aller et comment faire pour s’emparer de ce qu’il cherchait sans laisser de traces ».
Les histoires de cet ouvrage ne seront pas des découvertes pour les habitués de ce milieu incestueux où les entreprises privées de renseignement agissent souvent aux frontières de la loi, en les franchissant quand elles rémunèrent des fonctionnaires pour avoir accès aux lignes téléphoniques d’une personne visée, à ses comptes bancaires ou à son casier judiciaire. Le militant trotskiste Olivier Besancenot en sait quelque chose ! Pour le néophyte, qui ne comprendra pas nécessairement comment tourner toutes les clés, la lecture risque de …
Bruno Delamotte, Les Coulisses de l’intelligence économique , Le Nouveau Monde, 185 pages, 19 euros, ISBN : 9782847363883
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