Intelligence économique en France …
Le rendez-vous est fixé à Paris, à deux pas de Bercy. Sur le fronton d’un immeuble moderne, une plaque: « Délégation interministérielle à l’intelligence économique ». Bienvenue au cœur du nouvel instrument de la politique économique de l’État français. Lieu stratégique et sensible, c’est ici qu’a élu domicile le délégué interministériel. Son ordre de mission? La préservation de l’emploi, de la compétitivité des entreprises et la lutte contre le pillage du patrimoine industriel français. Ses méthodes? La collecte et l’analyse de l’information stratégique, le lobbying auprès des organismes internationaux et l’investigation. Ses leviers? Huit cabinets ministériels et des relais dans les ambassades. Son chef? Nicolas Sarkozy en personne. C’est d’ailleurs lui qui a fait de l’intelligence économique une priorité pour remettre la France en selle dans la compétition mondiale.
Au sixième étage, deux caméras de surveillance scrutent les couloirs et la minuscule salle d’attente. Sur la table, des revues aux titres évocateurs: « État et sécurité », « Les entreprises face aux fuites de données » ou encore le « Rapport des douanes 2010 ».
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Piratage et espionnage
- 12 janvier, Renault décide de licencier trois cadres soupçonnés d’espionnage industriel sur les nouveaux moteurs électriques développés par le constructeur, des accusations abandonnées depuis lors.
- 7 février, le ministre du Budget annonce que le ministère des Finances s’est fait pirater son système informatique alors même que la France présidait le G20.
- 13 avril, le groupe de défense et d’aéronautique Safran explique, quant à lui, qu’il a été victime de plusieurs cyber-attaques entre 2009 et 2010.
Ces trois affaires ont en commun d’avoir mis en péril la crédibilité de la France et de ses fleurons industriels. Elles montrent aussi que les informations stratégiques sensibles sont devenues des denrées convoitées et que, pour les obtenir, toutes les méthodes sont bonnes. En France, sur vingt secteurs sensibles recensés, quatre concentrent la majorité des attaques informatiques et des tentatives d’espionnage: l’automobile, l’aéronautique, la métallurgie et le nucléaire.
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Concept galvaudé
Pour prendre le pouls du secteur, rendez-vous dans un grand immeuble haussmannien du 9e arrondissement de Paris, pour rencontrer Hervé Séveno, fondateur du cabinet d’intelligence économique « i2F » et président charismatique du syndicat français de l’intelligence économique (Synfie). « Aujourd’hui, l’État français confisque l’intelligence économique au profit d’un microcosme. Il cultive l’opacité et décrédibilise le secteur qu’on associe désormais à un milieu de barbouzes et d’officines. Le concept d’intelligence économique est tellement galvaudé et connoté négativement que j’envisage de demander à mes affiliés de supprimer ce terme et de le remplacer par ‘conseil stratégique’ », fulmine-t-il. Hervé Séveno ne cesse de réclamer un encadrement de la profession pour trier le bon grain de l’ivraie et mettre un terme à la suspicion qui pèse sur le métier.
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Retour aux sources
L’intelligence économique s’est développée en France, il y a une quinzaine d’années, à destination des entreprises. A la base, il s’agit d’un outil d’aide à la décision qui implique une maîtrise de l’information stratégique: état de la concurrence, évolution du marché et risques liés à l’activité. Le travail se fonde sur l’exploitation légale de l’information ouverte et disponible. Mais l’intensification de la concurrence mondiale et la guerre économique entre États ont progressivement associé la discipline aux pratiques d’espionnages et de renseignements.
Mais alors, comment travaillent les entreprises spécialisées dans le domaine? Pour le savoir, direction Montrouge, dans le sud de Paris. A une centaine de mètres du siège de ST Microelectronics, se trouvent les locaux de Geos, un des leaders européens du conseil en intelligence économique. Parmi ses clients, des grands groupes actifs dans les secteurs pharmaceutique, énergétique, de la grande distribution ou des télécommunications.
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Focus sur les pme
Défaut de vision stratégique, absence de protection des données sensibles, faible connaissance du marché dans lequel elles opèrent, les PME sont régulièrement pointées du doigt. « La France commence seulement à sortir du règne de l’amateurisme et de la naïveté. Pourtant, il est impératif d’inverser la tendance afin de freiner le recul de l’économie française qui est passée de la cinquième à la sixième place à l’échelle mondiale. Et pour ça, il faut se baser sur un réseau de PME innovantes et, dans le secteur de l’innovation, la moindre fuite d’informations peut coûter très cher. Idem s’il y a une méconnaissance du marché », explique Christian Coutenceau.
Cette sensibilisation des PME à l’importance de l’information stratégique et à la protection de ses données est justement l’une des missions prioritaires de la délégation interministérielle. Pour ce faire, l’État mise sur la formation. D’ici un an, chaque étudiant à l’université suivra au moins une session de cours sur l’intelligence économique.
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Un seul chiffre pourrait, à lui seul, résumer l’enjeu: 47% des entreprises françaises actives dans les hautes technologies sont, à terme, rachetées par un investisseur étranger.
Par Nicolas Becquet pour lecho.be
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