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Juge d'instruction : la stratégie des petits pas
En parler, pour tenter de rassurer, c’est déjà avancer : la ministre de la Justice, en charge de l’une des réformes les plus importantes et les plus sensibles lancées par Nicolas Sarkozy, a entrepris de déminer le terrain politique. Mardi dernier, elle a réuni pour la première fois un petit groupe d’élus, une poignée de députés et de sénateurs – comprenant un membre de l’opposition – qui seront associés à la préparation du texte. Parallèlement, une équipe restreinte de magistrats se réunit, avec un avocat, tous les vendredis, autour de son directeur de cabinet, tandis que la direction des affaires criminelles et des grâces s’attelle aux propositions d’écriture du texte. «Ça fume, ça fume», commente un membre de la Chancellerie.
L’enjeu, pour les équipes de MAM, est de mettre au point une subtile mécanique dans laquelle le parquet mènerait l’ensemble des enquêtes sans pouvoir être soupçonné d’obéir au politique ou d’étouffer les affaires sensibles. Là est l’argument central dont se prévalent tous les opposants à la suppression du juge d’instruction : la fin du magistrat instructeur sonnerait la fin d’une justice indépendante. À moins, assurent-ils, de modifier le statut des magistrats du parquet et de le calquer sur celui des juges du siège – en changeant notamment leur mode de nomination. Or, précisément, le gouvernement ne veut pas toucher à ce statut.
La Chancellerie travaille donc sur «l’autonomie de la conduite de l’enquête», selon l’expression des juristes, c’est-à-dire sur la façon d’établir un contre-pouvoir efficace face au parquet-enquêteur. Ce garde-fou, c’est le «juge de l’enquête et des libertés » ou «JEL», qui, d’après les derniers travaux, devrait se voir confier des pouvoirs très étendus. Ce juge du siège, indépendant et spécialisé, jouera le rôle d’arbitre de l’enquête, et les parties pourront s’adresser à lui à de multiples stades de la procédure pour demander des actes, contester la décision du procureur. Il pourrait décider du renvoi ou non d’une personne en correctionnelle ou aux assises. Il sera également chargé de statuer – éventuellement en collégialité – sur les mesures privatives de liberté, comme le placement en détention.
Le débat s’ouvrira en janvier
Cette réforme s’accompagne de nouveaux droits pour la défense : les avocats joueront un rôle plus actif au cours de l’enquête. La Chancellerie est déjà décidée à leur permettre d’intervenir dès le début de la garde à vue, mais l’étendue exacte de leur rôle fait encore débat.
Plus l’avocat est sollicité, plus la réforme coûtera cher en termes d’aide juridictionnelle pour les justiciables les plus démunis… Le risque existe également de créer une justice à deux vitesses, les plus riches bénéficiant d’une défense plus efficace.
En janvier, le premier avant-projet devrait commencer à circuler. C’est alors que s’ouvrira le vrai débat. Pour l’heure, les opposants affûtent encore leurs armes. À l’Assemblée, Jean-Paul Garraud, député UMP, mais opposé à la réforme, mène une série d’auditions au côté de son collègue Étienne Blanc et doit rendre un rapport en début d’année prochaine. Pour l’instant, les députés ne se sont guère mobilisés sur la question. Côté magistrature, l’USM (Union syndicale des magistrats, majoritaire) se rapproche actuellement de plusieurs associations de victimes, que le projet inquiète, pour préparer l’offensive. Au sein du gouvernement, Jean-Marie Bockel, secrétaire à la Justice, a fait entendre sa voix ce week-end en se déclarant favorable à un «juge de l’instruction» qui donnerait une «direction à l’enquête», assurée au quotidien par le parquet, et qui interviendrait en formation …
Les détectives veulent collaborer avec les juges
À Bordeaux, Alain Rousseau se spécialise dans ce genre de missions. «Je suis régulièrement mandaté par le président du tribunal de commerce», témoigne le détective. Une de ses spécialités : localiser un débiteur qui s’est volatilisé ou a organisé son insolvabilité – «un domaine ou la police n’intervient pas», précise-t-il.
Gagner en respectabilité
Pendant longtemps, seules les affaires de divorce ont fait les choux gras des «privés». Les dossiers ne remontaient guère jusqu’au juge : ils servaient au mieux de base de négociation, au pis d’argument d’intimidation entre ex-mari et femme. Désormais, les détectives sortent de l’ombre. Si les affaires familiales constituent toujours un fonds de commerce non négligeable, les officines – qui se baptisent elles-mêmes volontiers «agences» – vont désormais chasser sur le terrain du pénal. À Bordeaux, l’«agence Aquitaine conseil» a réalisé en juillet dernier un «beau coup». Une enquête commandée par les parents d’un jeune homme retrouvé mort à Arcachon a entraîné la réouverture du dossier par le procureur général de Bordeaux. «Mon rapport ouvrait de nouvelles pistes», explique Alain Rousseau.
Sur Internet, les «agences» vantent désormais leurs enquêtes «utilisables en justice». Depuis son bureau, un professionnel d’Ile-de-France exhibe fièrement un jugement du tribunal de Nanterre du 15 février 2007 expliquant noir sur blanc que «les griefs sont établis par les documents procurés, et notamment un rapport de détective privé (…)». Au cas par cas, le magistrat reste toutefois entièrement maître de l’appréciation qu’il fait d’une enquête.
«L’un de mes confrères, spécialiste des véhicules de luxe, est souvent appelé par le tribunal dans les cas de vol, parce qu’il est capable de réagir plus vite que les forces de l’ordre, raconte Alain Letellier, président de la Chambre professionnelle des détectives français. Une autre de mes consœurs est intervenue pour la justice dans une affaire de maltraitance d’enfant…»
Car, aujourd’hui, les détectives sont bien décidés à s’engouffrer dans la brèche qu’ouvre la suppression du juge d’instruction. «Est-ce que le parquet est capable de réagir en 48 heures ? Nous oui !» lâche non sans perfidie Alain Letellier. La profession mise donc sur une demande accrue des justiciables. La réforme de la procédure pénale devrait en effet donner plus de poids à la défense, et dans ce cadre, les détectives, dont les services sont souvent conseillés par des avocats à leurs clients, espèrent être plus souvent sollicités.
Mieux : pour que leurs enquêtes ne soient pas réservées aux seuls justiciables aisés, ils comptent sur l’État. La Chambre professionnelle des détectives prépare en effet discrètement un projet qu’elle compte soumettre au gouvernement à la fin de l’année. Son idée : mettre sur pied un système calqué sur l’aide juridictionnelle qui permet aujourd’hui aux justiciables les plus démunis d’avoir recours à un avocat…
«Il faudra bien mandater quelqu’un pour les compléments d’enquête. Nous voulons devenir les experts de la preuve», martèle Alain Letellier. En réalité, les détectives cherchent depuis plusieurs années à gagner en respectabilité. La nouvelle procédure d’agrément, votée en 2003, pour moraliser et professionnaliser leur activité, leur permet désormais de se prévaloir d’une carte tout à fait officielle délivrée par la préfecture. Mais seule la moitié des agents de recherche privés …
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